Nous avons eu la tristesse d’apprendre que notre ami Richard Jozefiak nous avait quitté le 25 aout de l’année dernière. Du fait de l’éloignement et de la crise sanitaire nous n’avons eu que tardivement l’annonce de son départ. Né le 25 février 1946 à Sallaumines, ce fils de mineur, passionné d’aéronautique, avait effectué un an et demi de service dans le Génie parachutiste avant d’intégrer l’école des Officiers de la Gendarmerie Nationale en 1968 pour rejoindre ensuite la Gendarmerie des transports aériens. Il travailla plusieurs années à Orly et Nice, mais c’est à Lille-Lesquin qu’il consacra l’essentiel de sa carrière, y effectuant 25 années de service sur les presque 35 années de sa carrière. Il termina son parcours en 2001 comme Commandant de la Brigade de gendarmerie de l’aéroport de Lille-Lesquin, avec le grade d’adjudant-chef, récipiendaire de la médaille de la Gendarmerie du Transport aérien, des médailles de bronze, d’argent et d’or de la Défense Nationale ainsi que de la médaille militaire.
Un quart de siècle à vivre et à travailler sur le champ d’aviation de Lesquin aura marqué profondément l’homme qui aimait échanger avec les riverains, les agriculteurs, les anciens, les vétérans… Lorsqu’il prit ses premières fonctions à Lesquin de 1975 à 1984, les vestiges et stigmates de la guerre étaient encore bien présents et la mémoire des évènements était portée par des témoins qui l’avaient vécue une trentaine d’années plus tôt. Richard se prit alors de passion pour l’histoire du terrain d’aviation. Homme de contact, il échangea avec tous, prit des notes, photographia, photocopia, collectionna tous les documents qu’il parvenait à réunir sur son sujet de prédilection. Il se rendit en Angleterre, en Allemagne, prit contact avec d’anciens militaires, anglais, canadiens, allemands. Avec des familles endeuillées aussi, celles qui avaient perdu leur fils dans des crashs sur Lesquin entre 1940 et 1944. Il constitua avec une grande rigueur des classeurs de documents, de photographies, d’articles de presse, de correspondances et de courriers. La démarche fut longue et fastidieuse, car l’internet et les courriels n’existaient pas à l’époque. Il fallait adresser des demandes écrites aux diverses archives, correspondre en anglais ou en allemand et se déplacer pour rencontrer des témoins d’époque. Et Richard réussit à retrouver la trace d’anciens du GAO 501, de la Royal Air Force, de la Luftwaffe, qui tous avaient stationné à Lesquin. Le travail fut colossal, il le résuma dans une monographie tapée personnellement à la machine mais qui ne fut, hélas, jamais publiée.
Lorsque je le rencontrai en 2008, au moment où je me mettais à effectuer mes recherches pour le compte de l’association Anciens Aérodromes qui souhaitait publier un ouvrage sur Lesquin, il m’avait guidé, conseillé et permis de rencontrer les bonnes personnes, des témoins encore en vie alors sur cette épopée aéronautique, comme Roger Villers. Je me souviens aussi de la joie qui fut la sienne lorsque je lui avais transmis un reportage photographique retrouvé dans les archives allemandes, relatif aux funérailles des aviateurs anglais victimes du crash de leur Blenheim en avril 1941. Lui qui avait correspondu avec la famille de ces jeunes aviateurs fauchées par la guerre au printemps de leur vie. Richard me laissa faire mon travail de recherche sans s’associer cependant à l’écriture de l’ouvrage. Je ne compris que bien plus tard, les raisons de cette réserve.
En fait, il y avait un deuxième historien local qui avait annoncé lui aussi, des années bien avant moi, son intention d’écrire un livre sur Lille-Lesquin, c’était le capitaine Myrone Cuich (1931-2015). Cet ancien sous-officier mécanicien de l’armée de l’air avait servi à Lesquin, il était président de l’Amicale de l’Armée de l’air et de l’association Histoavia. Il avait déjà commis plusieurs ouvrages sur l’aéronautique en général et sur la Seconde guerre mondiale en particulier, notamment sur l’histoire du terrain de Bondues, mais bizarrement jamais rien sur Lesquin alors qu’il disait réunir sur le sujet une importante documentation alimentée notamment, comme pour Richard, par de nombreuses rencontres avec des vétérans célèbres de la guerre aérienne de 39-45. Rivalité entre gradés ? Incompatibilité de tempéraments ? J’avais compris que les deux hommes ne s’appréciaient guère et qu’il valait mieux éviter d’aborder le sujet de leurs relations interpersonnelles. Comme Jozefiak, Cuich me conseilla aussi dans mon écriture, m’ouvrant certaines portes et laissant entendre qu’il avait aussi écrit un ouvrage sur le sujet, non publié, mais dont il ne me montra cependant jamais la moindre page…
Lorsque le 20 décembre 2014 le livre sorti sous les auspices de l’aéroport de Lille, je réussis pour la cérémonie de dédicace à faire venir les deux hommes qui acceptèrent de partager avec Laurent Bailleul, président de l’association Anciens aérodromes, et moi-même un repas à Lesquin. C’était la première fois qu’ils se retrouvaient tous les deux à une même table. Était-ce dû à la magie du moment et du lieu ? A l’effet du temps écoulé qui avait fait son œuvre ? Ou encore à la présence des deux jeunes curieux passionnés d’aéronautique à leur table, toujours est-il que la glace se brisa. L’échange fut cordial, les souvenirs du passé de l’aéroport évoqués, nous buvions leurs paroles, eux qui avaient eu la chance de rencontrer tant d’acteurs survivants de l’épopée du terrain de Lesquin : des as anglais, allemands, canadiens, polonais, le kommodore Priller, l’américain Tibbet, et tant d’autres…
Au moment de se quitter, à l’extérieur du restaurant, je tentais une ultime question : pourquoi ni Cuich, ni Jozefiak, qui étaient cent fois plus légitimes que moi pour publier un ouvrage sur Lille-Lesquin, ne l’avaient fait ? La réponse fut étonnante, chacun des deux militaires pensait que l’autre allait le faire…
Suite à la parution de l’ouvrage, Richard m’avait apporté plusieurs corrections et compléments d’information qui s’ajoutaient à de nombreuses autres remontées de lecteurs témoins qui apportaient d’enrichissantes et précieuses contributions au sujet. Deux années plus tard, il me paraissait évident qu’une suite, un volume 2 de « Lille-Lesquin d’hier à aujourd’hui » devait être écrite. Mais cette fois ça allait être sous la forme d’un ouvrage signé par un collectif d’auteurs, auquel Richard était d’accord de se joindre. Ce collectif réunissait désormais cinq auteurs : Jérôme Grosse pour la période 14-18, Jean-Luc Charles pour la période 1935-1939 avec le GAO 501, Richard Jozefiak pour l’époque 1940-45, Maurice Lecocq pour la naissance de l’aéroport civil en 1947-1984 et Jean-Christophe Minot avec moi-même pour le développement récent de l’aéroport international. Dans cet ouvrage Richard apportait cinq études historiques remarquables qu’il avait réalisées sur des cas de crashs survenus sur le terrain de Lesquin et ses abords durant la Seconde guerre mondiale. Il avait exploré toutes les archives, retrouvé et contacté les familles concernées et il avait réussi à reconstituer les scénarios précis de chacun de ces drames. Son travail de bénédictin sur chacune de ces tragédies, forçait l’admiration. Cette collaboration autour de ce projet de livre permit à Richard de retrouver son ancien collègue et ami, Maurice Lecocq, qui avait été le dernier Commandant de l’aéroport de Lille avant sa privatisation, de 1975 à 2006. Elle me permit aussi de retrouver une ou deux fois par an, Richard, dans sa maison de Vimy où l’accueil était toujours chaleureux et les échanges sur Lesquin toujours autant passionnants.
L’écriture de ce livre sur Lesquin 2 est actuellement en cours d’achèvement et sera publié durant l’été 2021. A l’unanimité des co-auteurs, Jérôme Grosse, Jean-Luc Charles, Maurice Lecocq et avec Laurent Bailleul, président de l’association Anciens aérodromes, nous avons décidé de dédier ce livre à la mémoire de Richard Jozefiak. Avec l’accord et l’aide de sa veuve Yvette et de ses deux fils Hervé et Gérard, nous complèterons ce livre par une annexe iconographique que nous intitulerons « L’album de Richard Jozefiak » et qui présentera aux lecteurs un ensemble de photos d’époque 39-45 que Richard avait patiemment collectées et que nous compléterons par des légendes.
Richard tu as pris ton envol. Toi qui aimais tant le monde aérien, tu nous regardes désormais du ciel et nous avons une pensée pour toi. Bon vol Richard, on ne t’oubliera pas et nous te disons un grand MERCI pour le transmetteur de mémoire que tu as été.
Pierre Antoine Courouble
Auteur du livre « Lille-Lesquin d’hier à aujourd’hui ».
Co-fondateur d’Anciens aérodromes et de Mémoires de Lesquin.
A gauche, Richard Jozefiak en 1998 en compagnie de Donald Caldwel, un historien américain auteur de plusieurs ouvrages sur la JagdGeschwader nr 26. Ils posent ici devant les ex ateliers de la flugplatz de Lille-Vendeville où fin 1942 le Leutnant Otto Stammberger de la 9./Staffel. /III./JG 26 basée à Wevelgem, se fit photographier devant les restes du bombardier Flying Fortress USAAF tombé le 9 octobre 1942 sur Mouchin dans le Nord (photo du milieu qui fut offerte par le pilote à Jozefiak lors d’une rencontre entre les deux hommes). Photo de droite, Richard Jozefiak en tenue de cérémonie lorsqu’il était Commandant de la Brigade de gendarmerie de Lille-Lesquin.
Pierre Antoine Courouble, Richard Jozefiak et Roger Willers à Ennetières en juillet 2008
PA Courouble et Richard Jozefiak à l’aéroport de Lesquin lors de la sortie du livre le 20 décembre 2014. Avec Mirone Cuich, président d’Histoavia, et Laurent Bailleul, président d’Anciens Aérodromes, le même jour.
Le 17 aout 2018, lors d’une réunion-repas de travail à l’aéroport de Lille-Lesquin. Au centre de la photo, l’ancien commandant de l’aéroport de Lille, Maurice Lecocq, à sa droite Jean-Christophe Minot directeur de l’aéroport. Derrière lui Jean-Luc Charles auteur/historien à l’association Anciens aérodromes et P.A Courouble.
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