Contexte
Le 20 juin 1940, la Leibstandarte SS Adolf Hitler s’approche de la capitale auvergnate en suivant trois axes distincts. Tandis que son III. Btl infléchit sa marche en direction du Forez pour se positionner au-delà de Thiers, ses I. et II. Btl. avancent parallèlement avec Clermont-Ferrand pour objectif. Après avoir dépassé Maringues en milieu d’après-midi, le I./LAH (Kohlroser) se heurte au nord de Pont-du-Château à la ligne de défense avancée qui ceinture l’agglomération clermontoise. Désormais sous les ordres directs du général Choderlos de Laclos, ce dispositif n’a d’autre objectif que de ralentir l’inéluctable. Après un combat brusque qui se termine par la reddition d’une centaine de soldats français dont un capitaine, le bataillon peut investir Pont-du-Château sans encombre. La 1./LAH du SS-Hauptsturmführer Gross peut alors traverser l’ouvrage en pierre intact qui enjambe l’Allier afin d’établir une tête de pont sur la rive orientale.
La prise de l’aéroport
À 18 heures, le SS-Obersturmbannführer Martin Kohlroser peut savourer son succès. La position favorable dans laquelle se trouve son bataillon lui permet d’envisager la prochaine étape. Les ordres qui émanent du Generalmajor von Hubicki de la 9. Panzerdivision(1) sont pourtant clairs : ne plus bouger ! Mais, à défaut d’être un grand tacticien, cet officier bouillant n’ignore pas les vertus de l’audace. Les renseignements donnés par des prisonniers ont fait état de l’importance de la garnison clermontoise, pourtant tout semble calme. Seule la base d’Aulnat le sépare encore de l’entrée de Clermont-Ferrand, la tentation est grande… Il ordonne donc une reconnaissance à la 2./LAH.
21 juin 1940 : des véhicules de la 2./LAH stationnent devant l’aérodrome d’Aulnat après les combats de la nuit. Au premier plan, un side-car BMW R12 puis un Pkw. dont le garde-boue droit porte le symbole tactique du I. Btl.. À l’horizon, la chaîne des Puys surplombe l’agglomération clermontoise.
(SS-Kriegsberichter Bergmann National Archives)
Son commandant, le SS-Obersturmführer Schulze, n’en croit pas ses yeux. Ce qu’il découvre dans ses jumelles dépasse l’entendement. Face à lui, l’immense base semble abandonnée. Des dizaines d’avions alignés sur le tarmac ou parqués dans les hangars s’offrent en butin facile. Une telle aubaine ne se refuse pas ! Kohlroser approuve le coup de main et diligente un soutien d’artillerie et de Flak à son subordonné. Prudemment, Schulze s’engage sur la route de Lempdes. Encore quelques centaines de mètres puis il aperçoit une barricade : les Français sont là ! Soudain des coups de feu. Les SS sautent de leurs véhicules et ripostent. Mises rapidement en batterie, leurs MG 34 rendent coup pour coup à la mitraille qui les cloue au sol. Une balle atteint un SS qui s’écroule mortellement touché. Les soldats français ne lâchent rien d’autant qu’un canon de 75 commence à arroser la colonne allemande. Sectionnés par des tirs, les câbles électriques qui surplombent la route tombent sur les SS en foudroyant un homme(2). Deux chefs de sections, les SS-Obersturmführer Fromme et SS-Untersturmführer Springer(3) tombent à leur tour sous les balles. Sérieusement touchés, ils gisent dans le fossé et seront évacués grâce à la manœuvre audacieuse d’un chauffeur qui foncera sous le feu ennemi pour les sauver. Au total, une vingtaine de blessés prouvent l’âpreté du combat. Incapable de dépasser cet obstacle, Schulze fait intervenir comme parlementaire l’officier prisonnier commandant la défense de Pont-du-Château. Muni d’un drapeau blanc, le capitaine Bourquin souhaite éviter des morts inutiles. D’ailleurs, la ville de Clermont-Ferrand n’a-t-elle pas été déclarée «ouverte» ? Selon les sources allemandes, Bourquin se serait porté volontaire pour obtenir cette reddition. Il est abattu en s’approchant de la barricade…
À la faveur de l’obscurité tombante, les défenseurs français décident de s’éclipser discrètement, certains en endossant des habits civils. Une patrouille investit la base, suivie par le reste de la compagnie. Des soldats lèvent les bras sans résistance : 278 sont ainsi capturés. Mais ce que découvrent les SS dans les hangars et sur les tarmacs dépassent leurs espérances : 242 avions civils et militaires sont là abandonnés ! On décompte des Morane-Saulnier MS 406, des Dewoitine D. 510, des LéO 45, Potez 63 ou Bloch 131 etc…, la majorité provenant des entrepôts de l’Armée de l’Air de Villacoublay replié à Aulnat. Certains sont presque des épaves, d’autres en parfait état de vol. Un butin considérable, d’autant plus qu’il faut y ajouter des tonnes de matériel, du carburant, des armes et des véhicules. En outre, huit chars FT 17 (dont un en flammes), évacués par leurs équipages, parachèvent cette victoire mirobolante(4).
Quelques-uns des 242 avions abandonnés sur la base d’Aulnat (ici des Morane-Saulnier MS 406).
(SS-Kriegsberichter National Archives)
Les restes de ce qui pourrait ressembler à un Potez 63 ou un LéO 45 terminent de se consumer devant les bâtiments du nord de la base. Un SS pose devant l’épave en compagnie de son prisonnier. On reconnaît l’aérogare blanche construite en 1937 et gérée avant guerre par l’aéro-club d’Auvergne.
(SS-Kriegsberichter Bergmann National Archives)
Isolé du bataillon, Schulze ordonne à ses hommes de creuser des trous individuels pour la nuit. Mais la menace d’une contre-attaque française restera lettre morte et les SS peuvent se satisfaire de l’exploit accompli. L’aube suivante leur appartient…
Quant à Richard Schulze, ce haut fait d’armes va lui valoir une ascension fulgurante. Celle-ci se concrétise dès le mois d’août 1941. La blessure aux deux bras (par balles et éclat d’obus) alors qu’il se battait sur le front russe à réduire la poche d’Ouman en sera l’élément déclencheur. Nommé SS-Hauptsturmführer depuis le 1er août de l’année précédente, Schulze est muté, après sa convalescence au SS-Hauptamt, en tant que détaché (adjudant) auprès de Joachim von Ribbentrop. Un poste qu’il avait déjà occupé auprès du Reichsminister de juin 1939 à février 1940 et qui lui avait valu d’être présent lors de la signature du pacte germano-soviétique. En octobre 1941, une nouvelle mutation l’assigne au Führerhauptquartier en tant qu’officier d’ordonnance. Un an plus tard exactement, l’officier âgé de 28 ans devient l’adjudant personnel de Hitler, fonction qu’il assumera jusqu’à fin novembre 1943. Désormais SS-Sturmbannführer (depuis le 24 février 1943), Schulze est nommé professeur de tactique à la SS-Junkerschule Bad Tölz. Une école dont il prendra le commandement début décembre 1944 avec le grade de SS-Obersturmbannführer. Fin mars 1945, on lui confie l’ultime responsabilité de mener au feu la 38. SS-Grenadier-Division «Nibelungen». Une unité levée dans l’urgence et dont l’effectif hétérogène est principalement constitué des élèves et du personnel d’encadrement de l’école de Bad Tölz ainsi que par des volontaires étrangers (Biélorusses et Ruthènes). Des membres de la HJ, des soldats débandés de la 6. SS-Gebirgs-Div. «Nord» et enfin le SS-Begleit-Btl. RFSS viendront renforcer l’ensemble. Une unité qui de division ne porte que la dénomination, tant sa structure, conjuguée à la faiblesse de ses moyens organiques, la rapproche plus de l’organigramme d’une brigade. Engagée dans les derniers jours d’avril 1945 en Bavière (rives du Danube) pour contenir les Américains, la «Nibelungen» reculera en direction d’Oberwössen où elle combattra jusqu’à la capitulation.
Christophe Grégoire
Notes :
(1) Subordonnée au XIV Armeekorps (mot.), cette division progresse alors dans la région roannaise.
(2) Les deux soldats tués dans ce combat sont le SS-Rottenführer Hermann Schumacher et le SS-Sturmmann Erwin Friedland. Ils seront enterrés dans un premier temps à Pont-du-Château avant que leurs dépouilles soient transférées au cimetière militaire de Dagneux où elles reposent depuis.
(3) Né le 20 mai 1916, Fromme alors SS-Hauptsturmführer et commandant du I./SS-Pz. Gren. Rgt. 21 (10. SS-Panzerdivision «Frundsberg») sera tué en Normandie le 4 août 1944. Quant à Springer, il terminera la guerre SS-Sturmbannführer, adjudant à l’OB West.
(4) Sauf erreur, ces chars FT 17 (modifiés 1931) appartiennent à la Section régionale de Protection allouée à la 13e région militaire. Soit 9 engins répartis en 3 sections. Notons qu’une autre section (4 chars) est également subordonnée au 132e Régiment Régional.
Christophe Grégoire est l’auteur du livre ‘’Les troupes allemandes en Auvergne’’.
Contact : judexesf1650@gmail.com