Reportage d’ Henri Conan
Dimanche 22 septembre 2013, Baptiste Salis (petit fils de J.B. Salis, 29 ans, détenteur d’une licence de vol depuis l’âge de 16 ans) aux commandes de la réplique du Morane-Saulnier Type G a relié l’ancienne base militaire de Fréjus à Bizerte (Tunisie) en 7 heures et 44 minutes de vol. Par rapport à celles des avions actuels, les conditions de vol étaient rudimentaires (mal assis, cockpit ouvert, bruit du moteur, intempéries) !
Baptiste Salis a volé sur les traces de Roland Garros qui, le 23 septembre 1913 avait quitté Fréjus à 5h47, en n’ayant pour instruments de navigation qu’une boussole et deux montres, s’était posé sur le champ de manœuvre de Bizerte. Comme il ne lui restait plus que cinq litres d’essence il avait abrégé son trajet prévu pour Tunis.
« La côte d’Afrique apparut aussitôt, cinq litres d’essence seulement me restaient… et j’atterris sur le champs de manœuvre où personne ne m’attendait. Sous un soleil ardent, je me trouvai seul, dans le silence, l’immobilité, la paix. Le premier homme que je vis fut un soldat en bourgeron. Il s’approcha sans hâte, m’observa curieusement puis s’enhardissant vous venez de loin ? De France…Il sourit d’un air perplexe et ne dit plus rien ».
Garros avait réalisé ainsi la première relation aérienne entre la France et la Tunisie; battant largement avec un survol maritime de 790 km son record de l’année précédente quand il avait relié Tunis à la Sicile.
Initialement il envisageait de faire une liaison Fréjus / Tunis / Alger / Marseille mais son appareil avait eu des problèmes mécaniques en vol.
Album flickr (illustrations fournies par H. Conan)
Mission accomplie pour l’équipe Réplic’Air.
Le projet de traverser la Méditerranée avec la réplique d’un Morane-Saulnier est né il y a deux ans, il a nécessité de l’argent (sponsors, Aéro-Club de France, mécénat du public) mais surtout toute la volonté et la détermination d’une équipe présidée par Jérémy Caussade.
Un certain nombre de membres de l’association Réplic’Air sont des ingénieurs travaillant chez Airbus, d’autres des passionnés par l’aviation; ils ont voulu mettre en œuvre des outils de conception modernes (ex : reconstitution des plans de construction par CATIA) pour construire un appareil assemblé selon les standards de l’industrie aéronautique d’aujourd’hui. Les cinq pilotes d’essais, travaillant à Airbus, ont exploré le domaine de vol et réalisé la mise au point de la machine en appliquant les procédures actuelles. 25.000 heures de travail bénévole ont été nécessaires.
L’avion a été construit en bois et toile de lin et a nécessité 1000 pièces de métal ; il a des commandes de gauchissement de l’aile (pas d’ailerons). A part l’utilisation d’un moteur moderne ROTEC 110 cv en étoile à la place du GNOME Sigma 7 cylindres rotatifs 60 cv l’appareil est quasiment identique à celui de 1913 (Roland Garros avait utilisé un Type très peu différent).
6,10 mètres de longueur, 10,20 m d’envergure, 300 kg à vide, 200 litres de carburant.
Le planning était serré !
Le président de la République, de passage dans le Gers le samedi 3 août 2013 était allé saluer l’équipe de Réplic’Air, affairée aux derniers préparatifs de montage de l’appareil.
Le premier vol a été effectué le 10 août sur l’aéroport d’Auch ; puis après un vol de trois heures le 31 août, un autre de cinq heures a été effectué le 9 septembre avant que l’appareil rejoigne Fayence à la mi-septembre pour les derniers réglages avant le départ.
La réplique du Morane-Saulnier Type G de Réplic’Air s’est posée, à Bizerte à 16h05 ; deux membres de l’A2A étaient présents : le colonel Antoine , directeur des vols pour l’Aéro-Club de France, et Henri Conan pour «Mémoires de l’hydraviation». L’appareil étant démuni de freins et n’ayant qu’un patin de queue une piste « meuble » était nécessaire.
Nous avons pu assister à un atterrissage impeccable sur un champ de blé mitoyen de la base aérienne, avec pour simple guide une ligne blanche ; une foule de tunisiens, deux ministres et le gouverneur de Bizerte étaient venus voir 100 ans après l’avion de Roland Garros.
Un certain nombre d’autres appareils se sont posés sur la base, ayant bénéficié d’un beau temps pour toute la traversée :
- Pour Replic‘Air un ULM CTLS et trois Piper biplaces volant en patrouille avec le Morane-Saulnier ; Maurice Georges, président d’honneur de l’Aéro-Club de France, volait plus en avant afin d’effectuer une veille météo.
- Huit pilotes handicapés ont effectué également la liaison Cannes Bizerte épaulés par des pilotes militaires de la Réunion (partenariat Association des Pilotes Militaires de La Réunion et Association des Pilotes à Mobilité Réduite de l’Aéro-Club de France).
- Un DC3 a été également utilisé transportant, notamment, Jean-Pierre Lefèvre-Garros, neveu du vainqueur de la Méditerranée.
- Dans le cadre de l’Année Mondiale Roland Garros 2013 sept avions légers étaient arrivés deux jours avant, leur circuit « Sur les pas de Garros » se poursuivant, pour trois d’entre eux, par un retour par Naples et Rome afin de commémorer le premier vol intercontinental de l’histoire, réalisé par Garros le 18 décembre 1912 de Tunis à Marsala
- Un Boeing de Tunis Air avait également amené 26 enfants d’une classe CM2 de l’école primaire Eudoxie Nonge du Chaudron (Réunion). Le conseil général de la Réunion a financé pour eux un périple d’une dizaine de jours ayant pour objectif de retrouver les traces de Roland Garros (Paris, Monaco, décollage de la réplique à Fréjus, arrivée à Bizerte, Toulouse avec les visites d’Airbus Industries et de la Cité de l’espace, puis avant de rentrer, une rencontre avec le Président de la République à l’Élysée et une journée à Disneyland). Chaque enfant avait reçu un appareil photo et a réalisé un carnet de voyages intitulé « Année Roland Garros ».
La ville de Bizerte a célébré du 19 au 23 septembre 2013 l’arrivée de l’avion en organisant différentes manifestations dans le centre-ville (conférences, expositions, animations pour enfants, projections de films et concerts).
«Mémoires de l’hydraviation» présentait dans l’ancienne église de Bizerte transformée en centre culturel, l’exposition « Roland Garros héros de la Méditerranée » ainsi qu’une « revue de presse franco-tunisienne 1912 – 1913 » réalisée en partenariat avec « Association Tunisienne de l’Aéronautique ».
Une plaque à la mémoire de Roland Garros a été installée sur l’ancienne place Madon où il y avait, de 1924 à 1958, une statue du pilote.
Un grand merci donc à tous ceux qui se sont dépensés sans compter pour organiser cette historique et émouvante commémoration, à l’équipe Réplic’Air et son pilote, à toute cette grande famille de l’aviation qui a soutenu le projet et bien entendu à toute l’aide des services officiels français, italiens et tunisiens mobilisés pour la sécurité des vols.
Les manifestations de l’Année Mondiale Roland Garros 2013 se poursuivent ; «Mémoires de l’hydraviation» va notamment présenter l’exposition « Roland Garros héros de la Méditerranée » sur plusieurs sites (et à l’aérogare de Saint Denis de la Réunion pendant deux ans). Un colloque de synthèse international aura lieu à Paris le 7 décembre.
Prochaines étapes des commémorations Garros:
- 2014 l’incroyable doublé au Rallye Aérien de Monaco
- 2015 le premier avion de chasse, la première victoire aérienne du premier pilote de chasse de l’histoire
- 2018 anniversaires de la naissance, du diplôme HEC et du du décès de Roland.
Pour en savoir plus :
– Le Livre de Jean-Pierre Lefèvre-Garros « Roland Garros, pionnier de l’aviation » (disponible chez l’auteur).
– Le powerpoint de l’exposition « Roland Garros héros de la Méditerranée »
– http://patrimoine-memoire.aviation-civile.gouv.fr/flb/07-06-1_Garros-centenaire-2013/
– http://www.replicair.fr/index.php
– http://ms-h-garros.blogspot.fr/
Vous pourrez y télécharger un modèle pour Microsoft Flight Simulator FSX du Morane-Saulnier type H réalisé par Jean-Michel Castagné.
NDLR: nous remercions Henri Conan (memoireshydraviation@free.fr) pour la rédaction de cet article