Synthèse documentaire réalisée par G.Labeeuw avec l’aide de Jean-Luc Charles
Préambule : Les années 20 et la quête du vol transatlantique
Au sortir de la Première Guerre mondiale, les avions étaient devenus suffisamment puissants et fiables pour envisager les premières lignes commerciales sur de moyennes voire de longues distances. Et l’on commença à voir se développer dès le début des années 1920 des lignes régulières entre Paris et Londres, Paris et Amsterdam ou des lignes intérieures aux Etats-Unis. Dans le même temps, le défi de la longue distance, en particulier au-dessus des océans, attirait toujours plus de pilotes et constructeurs qui se lancèrent dans de grands raids aériens. Au cours des années 20, c’est la traversée de l’Atlantique qui demeurait le défi le plus important : Du premier vol transatlantique sans escale en 1919 par les Britanniques John Alcock et Arthur Whitten Brown (3050 km entre Terre-Neuve et Clifden en Irlande) à la traversée de l’Atlantique par Charles Lindbergh en mai 1927 (New-York – Paris, 5808 km), ces prouesses soulevèrent la question de leur transformation en vol régulier, en diminuant les risques pour les personnes et les marchandises. En effet, de tels exploits seraient demeurés stériles si l’on n’envisageait pas leur transformation en ligne régulière, moins sensibles aux aléas climatiques que pouvaient présenter de tels vols au-dessus de l’Atlantique.

Coll. La Science et la Vie, n°126, Décembre 1927 (via CNAM)
C’est ainsi que parmi les recherches de création de lignes régulières transatlantiques s’est imposée la nécessité d’escales ou de relais en mer. L’idée d’un « aérodrome flottant », ou île flottante, pouvant servir d’escale fut donc rapidement émise, tant du côté français qu’ outre-atlantique. Reprenant les études sur les routes aériennes entre Paris et New-York initiées par René Fonck, les conditions atmosphériques imposaient à l’époque deux trajets distincts pour l’aller et le retour. Dans le cas du trajet New-York – Paris, une seule escale flottante pouvait suffire, et de la même manière, pour la route du Sud, de Paris vers New-York, une seule île flottante entre les Açores et les Bermudes était jugée nécessaire.
Dans la reprise de cette idée, des différences existaient néanmoins. Certains projets de relais flottants étaient prévus pour des avions tandis que d’autres étaient adaptées aux seuls hydravions. A l’époque des années 20, l’hydravion était en effet envisagé pour le transport de passagers à longue distance. Sa capacité à se poser en mer en cas d’avarie pouvait également rassurer les passagers, même si cette possibilité s’avérait plus que périlleuse en haute mer.
Mais venons-en aux projets développés par les Français…
Le brevet d’île flottante de Maurice Pottier – 1919-1920
Maurice (Pierre Achille) Pottier est né le 20 octobre 1883 à Paris et mort en 1982. D’abord diplômé de l’Ecole centrale des arts et manufactures à Paris en 1907, il effectue une première partie de sa carrière dans des sociétés comme le Service des bâtiments de la Compagnie des chemins de fer du Nord avant de se consacrer, à partir du milieu des années 20, à la construction d’immeubles de logements ou de villas pour des particuliers.
C’est en juillet 1919 que cet ingénieur dépose un brevet d’île flottante pour aéronefs (système dénommé MAPP), dans le but de répondre aux problèmes des traversées de longue distance, en créant des escales intermédiaires. Le brevet décrit en deux-trois pages le principe structurel de cet île flottante :
- Un ponton cloisonné, polygonal, circulaire ou effilé, à bords et fonds droits ou inclinés, servant de flotteurs à l’ensemble avec quilles repliables ou non pour empêcher la dérive
- Une plateforme de départ et d’atterrissage plane ou en pente, pouvant être distincte du pont supérieur du ponton et susceptible de le déborder dans tous les sens
- Une ossature immergée destinée à augmenter la résistance de l’ensemble par élévation de la hauteur et à accroître la stabilité par abaissement du centre de gravité
- Une ossature aérienne destinée à relier le ponton à la plateforme, si celle-ci est surélevée, et à former les encorbellements
- Des garages constitués soit par des parties ou des élargissements de la plateforme où peuvent être édifiés des bâtiments, des hangars et des phares, soit par de grands vides réservés au-dessous de la plateforme dans le ponton ou dans l’ossature avec vastes galeries de circulation et ascenseurs pour appareils aériens débouchant sur la plateforme
- Un port et des moyens de levage pour hydravions
- Etc…
Il est à noter que cette île devait être dotée d’un système de propulsion pour maintenir sa position. Le projet d’île flottante est adapté aussi bien aux avions qu’aux hydravions. Plusieurs formes d’îles sont proposées (carrées, allongée avec élargissement, …)
Le projet d’Henri (Paul) Defrasse, architecte français (1924-1928)
Né en 1896, fils de l’architecte Alphonse Defrasse, Henri Paul Defrasse sortait tout juste de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris lorsqu’il remporta le premier prix du concours Chenavard le 17 mars 1924 avec un projet d’île flottante pour hydravions. Son intérêt pour l’aéronautique provient sans doute de la Première Guerre mondiale où il fut mécanicien et observateur à l’escadrille Salmson 8 (la SAL 8). Ce projet fait surface à la même époque qu’un projet de l’ingénieur américain Armstrong, qui sera abordé dans l’épisode 2.
Dans sa version du projet de 1924, Henri Defrasse imagine une île flottante comme un véritable navire, en forme de fer à cheval pour laisser l’accès à un canal d’amerrissage des hydravions à l’intérieur, sur un plan d’eau de 6 m de profondeur, protégé de la houle par les ailes latérales du navire. La dimension extérieure de l’ensemble fait 230 m de large par 450 m de long, offrant un pont intérieur de 90 par 320 m. Les extrémités du fer à cheval sont munies de propulseurs Diesel de 25 000 Cv pour permettre à l’ilôt de maintenir sa position.

Schéma fonctionnel de l’île flottante, in Le Sport illustré, janvier 1927
Les coques latérales, conçues comme des caissons carénés en béton (on disait ciment armé à l’époque) munis de « water-ballast » pour la flottaison, voire via une solution de construction mixte ciment-métal, abritent toutes les fonctions logistiques et d’agrément. Defrasse, tout juste diplômé de l’école des beaux-arts prend soin de détailler les vues et les plans de cette île flottant : hangars et ateliers de réparations, trois phares de signalisation, hôtel-restaurants…
Moins de quatre années plus tard, comme en témoignent de nombreuses publications dans le monde architectural, Defrasse perfectionnera encore son projet et notamment sa faisabilité technique tant du niveau construction que concernant les services liés au décollage et à l’amerrissage des hydravions, le soumettant également à l’avis du Service de navigation aérienne, à la DGA et à l’Aéro-club de France, sans toutefois qu’un industriel se lançât finalement dans l’aventure… Le prix très important de cette île eut sans aucun doute raison de ce projet ambitieux !

Perspective de l’île flottante d’Henri Defrasse. Coll. L’Architecte, septembre 1927

Plan / Coupes de l’île flottante. Coll. L’Architecture, juin 1928
Le projet d’îlot factice marin de Camille (Dominique) Féron – 1927

Projet d’île flottante pour avions, hydravions et dirigeables par Camille Féron en 1927, repris dans une publication russe de 1934
Moins médiatisé que le projet précédent, le projet de Camille Féron a fait l’objet également d’un brevet déposé en juillet 1927. L’îlot reprend les codes des projets précédents avec une plateforme circulaire tout en y apportant des différences notables : Destiné aux avions, hydravions et dirigeables, le diamètre de la structure est encore plus imposant : 400 mètres ! permettant ainsi aux avions de se poser ou de décoller dans différentes configurations. Sur ce disque, une portion a été réservée à l’aménagement d’un canal d’une largeur de 80 mètres pour y faire amerrir les hydravions. En périphérie du disque se trouvent les grues de déchargement.
L’originalité de l’île Féron réside dans son mode de construction : pas de carènes ni flotteurs isolés cette fois-ci mais une structure en forme de vaste radeau, reposant sur des caissons étanches en ciment armé, mesurant 20 m par 5, reliés entre eux par des queues d’aronde. La flottabilité de l’ensemble semble bien démontrée !
Le projet de Féron sera repris dans la publication russe de B. Kuznetsov en 1934 sur les machines.

Coupe longitudinale sur la structure en caissons de l’île flottante de Féron. Coll. La Science et la Vie n° 129, décembre 1927

Coupe de détail sur un caisson. Coll. La Science et la Vie n° 129, décembre 1927
D’autres projets français à signaler

Le navire français Béarn, en 1927, avec un Torpedo au décollage. source : Les navires de guerre français, par Francis Dousset
On aura l’occasion de revenir dans l’épisode 2 sur ces autres projets, mais il s’agit essentiellement de solution plus commune de navire dont le pont est transformé pour accueillir des avions ou hydravions.
Du côté français, le plus connu est sans doute le Béarn. Les français s’inspirent d’une visite du HMS Argus britannique et décident de transformer le navire français, non encore terminé au début des années 20 , pour le doter d’un pont d’envol de 180 m de long et d’un hangar à avion. Après quelques essais en 1920, le projet de la Marine de le transformer en véritable porte-avions mettra quelques années à aboutir et il faudra attendre 1928 pour une véritable exploitation mais dans un cadre militaire.
Ce qui n’empêche pas de voir émerger également des brevets de perfectionnement de navire destinés à servir de point d’appui à la traversée en mer, comme celui déposé en décembre 1929 par MM. Lucas Girardville et de Vullitch.
A suivre ….
Sources :
- L’Architecture, novembre 1924
- Constructions Modernes, n°34,1924
- Les Salons d’architecture, 1924
- Le Journal des Voyages n° 65, juillet 1926
- Le Sport illustré, janvier 1927
- Revue aéronautique de France, août 1927
- L’Architecte, septembre 1927
- La Science et la Vie n° 129, décembre 1927
- À la page : l’hebdomadaire des jeunes. 1933-03-30
- INPI, base brevets