Ce terrain à l’existence éphémère fut pourtant celui de la première entreprise aéronautique toulousaine, avant même les Lignes Latécoère.
Un clerc de notaire toulousain, Anatole Ernoul , passionné au plus haut point par l’aviation naissante décida en 1913 de créer une société nommée Aero Publicité. Son idée : jeter des tracts publicitaires depuis les airs.
Ayant acquis deux avions (de type inconnu), il monta un hangar type Bessoneau sur le plateau de Franc- Cazalas (orthographe de l’époque) au sud-ouest de Toulouse. Ce lieu avait déjà vu s’envoler le Blériot du célèbre aviateur Morin en novembre 1911 mais ce n’est qu’en 1923 qu’il deviendra l’aérodrome de Francazal.
Cette expérience se solda par un échec : la plupart des « flyers » tombent sur les toits, voire dans la Garonne.
Ernoul ne se décourage pourtant pas. Il fait la connaissance de Pierre Georges Latécoère qui est client de l’étude notariale où il officie. Il lui propose de créer une ligne d’apport Bordeaux- Toulouse – Montpellier. P.G. Latécoère n’y voit pas d’inconvénients et lui cède une vingtaine de Salmson 2A2 dont il n’a plus l’usage car en cours de remplacement par les Breguet XIV. Toutefois il ne pousse pas la générosité jusqu’à accepter qu’il utilise le terrain de Montaudran.
Inauguration de la ligne Toulouse – Montpellier (Coll Claude Andrieu)
Ernoul dépose les statuts de la Compagnie Aero Transport Ernoul ayant son siège 20 bis, rue Saint-Hilaire à Toulouse.
Ernoul trouve un terrain proche de Montaudran : le domaine Ribaute en bordure du D 15 sur la commune de Quint. La maison de maître fait office d’aérogare et deux Bessoneau sont montés pour abriter les avions. (voir le plan et en bas à droite de la vue satellite avec en haut le seuil de piste 33 de Toulouse-Lasbordes).
Vue satellite
Plan
Un Nieuport BB s’ajoute à la flotte pour l’entraînement (ou l’amusement) des pilotes.
Des pilotes sont recrutés dont certains deviendrons célèbres : Paul Codos ou Dieudonné Costes qui vient d’être licencié des Lignes Latécoère par Didier Daurat à la suite d’une sombre affaire de trafic de cocaïne.
Le 10 janvier 1919 la ligne de Bordeaux est inaugurée, suivie le 15 juin par celle de Montpellier. La fréquence est quotidienne dans les deux sens avec escales facultatives à Agen, Carcassonne et Béziers.
Pour l’année 1920 les résultats sont insuffisants pour rentabiliser la compagnie: 156 passagers et environ 1500 kg de courrier et fret.
Pourtant Ernoul rêve toujours de prolonger sa ligne vers Marseille, l’Italie, les Balkans jusqu’à Odessa en Russie. Un projet de ligne de chemin de fer Bordeaux – Odessa avait été abandonné.
Il cherche à multiplier les relations publiques : à l’occasion d’une cérémonie au monument aux morts de Valence d’Agen, il fait jeter sur les assistants par un de ses pilotes une multitude de bouquets de violettes. Le 28 mars 1921 il organise un grand meeting aérien sur l’île du Ramier, au cœur de Toulouse. Devant une foule immense ses avions évoluent : voltige, passages en formation, vols au raz de l’eau. Le spectacle est clôturé par deux sauts en parachute par le jeune Édouard Bordes et Mlle Renée Jacquard. Tous deux terminent dans la Garonne mais sont repêchés sains et saufs.
La rigueur d’un Didier Daurat fait défaut pour la gestion de l’entreprise : le Nieuport termine dans l’eau du canal du Midi. Voulant passer sous les platanes, le pilote heurte les branches ! Les Salmson 2A2 à bout de souffle tombent en panne de plus en plus souvent.
Un malheureux accident termine de casser la confiance des actionnaires : un notaire détenteur d’actions s’inquiète auprès de Dieudonné Costes du fonctionnement de la compagnie. Celui-ci se plaint des 2A2 car, comme tous les avions militaires de 14-18, ils sont centrés avant. Ceci afin qu’un pilote blessé puisse rompre le combat en lâchant le manche ; ainsi l’avion s’engage en piqué, laissant croire qu’il est abattu et le pilote peut, avec de la chance, redresser avant d’emboutir la planète. Mais ceci est fatiguant en ligne par la traction permanente à exercer sur le manche. Costes propose une démonstration au notaire et l’invite à bord. Il démontre avec tant d’entrain que, après l’atterrissage, il se retourne et constate que sont passager n’est plus dans l’avion !
C’est le glas de l’entreprise qui est mise en liquidation judiciaire le 21 novembre 1922. Les trois derniers Salmson immatriculés depuis octobre 21 : F-ADEN, F-ADEO et F- ADEP sont mis en vente. Ils seront radiés en 1925.
Selon sa famille, Ernoul serait parti en Indochine pour y poursuivre ses rêves aériens. On n’entendra plus parler de lui.
Le domaine de Ribaute retourne à sa vocation agricole et ce jusqu’à nos jours. La proximité de Lasbordes le protégeant de la voracité des promoteurs.
Claude Andrieu
Sources :
Toulouse Terre d’Envol (1993) de l’abbé Georges Baccrabère, curé de Quint, pilote avion et planeur, parachutiste et créateur de l’aéro-archéologie.
La Gazette des Chalets 2005
US Congressional Serial Set 1924
Registre F
Divers témoignages.