Paul Mathevet (membre 2A)
Il y a quelque temps, un ami, Daniel Gerbe, m’informait que la revue ICARE publiait un numéro consacré à l’histoire de la Compagnie aérienne Air Alpes. Un chapitre de cette revue traitait des aérodromes dans les Alpes, chapitre dans lequel on lisait les lignes suivantes :
«Il faut également mentionner une manifestation ayant eu pour cadre l’Alpe de Mont-de-Lans, le 12 août 1945, à laquelle participèrent des planeurs de Challes-les-Eaux ainsi que des appareils militaires et c’est peut-être là qu’apparut le premier aérodrome de montagne. En effet, M. Tessa, entrepreneur de travaux publics dans cette région, eut très tôt l’idée d’aménager un terrain de montagne sur ce site (c’était en 1933). Même si, à l’époque, ses propositions ne rencontrèrent guère de succès, la guerre et le premier maquis de l’Oisans allaient concrétiser ses souhaits. Sitôt les Alliés débarqués en Normandie, M. Tessa et son équipe commencèrent les travaux de terrassement pour arriver à une piste de 1100 mètres de longueur sur 55 de largeur , piste qui pourrait permettre un soutien aérien des Alliés à la Résistance de ce secteur. Il semble toutefois qu’aucun appareil n’ait utilisé cet « aérodrome de montagne ». Il faut remarquer que tous ces travaux d’aménagement furent réalisés « au nez et à la barbe » des troupes allemandes du secteur.»
(les lignes ci-dessus proviennent de l’article « Aviation de montagne et altiports dans les Alpes » écrit par Alain Genève et paru dans la revue « Le Trait d’Union » en 1982 avec photo).
J’avais souvenance d’une photo, publiée par un site de vente de photos sur Internet, qui avait pour mention ‘Alpe de Mont-de-Lans’. J’ai transmis cette photo à mes amis Marie-Christine et Jacky Charrel qui habitent Le Mont-de-Lans. Ils ont reconnu l’hôtel Tessa à l’Alpe de Mont-de-Lans.
L’immeuble de l’hôtel Tessa dans le fond.
Immédiatement après, Marie-Christine et Jacky m’ont mis en contact avec Madame Tessa, 89 ans, fille de Rodolphe Tessa, et elle-même pilote d’avion…! Je lui ai téléphoné, nous avons beaucoup bavardé et retrouvé des amis communs comme Henri Giraud et Collot, son moniteur de pilotage. Madame Tessa se souvient de beaucoup de choses…!
«Rodolphe Tessa, qui a participé aux travaux de la construction du barrage du Chambon sur la Durance, inaugure son chalet-refuge à l’Alpe de Mont-de-Lans, le 4 décembre 1932. A l’époque, la localité de l’Alpe de Mont-de-Lans, depuis la vallée de la Romanche, n’était desservie que par une voie empierrée et étroite. La route actuelle ne date que de 1938. Dans les années qui précédèrent la Seconde Guerre mondiale, la commune du Mont-de-Lans avait passé commande pour la construction d’un hôtel à l’Alpe de Mont-de-Lans. A la fin du chantier, n’ayant pu payer l’entrepreneur, en l’occurrence Monsieur Tessa, la commune du Mont-de-Lans lui céda l’hôtel à titre de compensation. Aujourd’hui, l’immeuble existe toujours; il est situé à proximité du départ du télésiège de ‘la Vallée Blanche’.
«Rodolphe Tessa avait toujours envisagé de créer un terrain d’aviation sur ce vaste plateau au sud de son hôtel, entre l’Alpe de Mont-de-Lans et l’Alpe de Venosc. Même si, à l’époque, ses propositions ne rencontrèrent guère de succès, la guerre et le premier maquis de l’Oisans allaient concrétiser ses souhaits. Sitôt les Alliés débarqués en Normandie, M. Tessa et son équipe commencèrent les travaux de terrassement. Ce souhait ne se réalisa pas; néanmoins, une fête aérienne se déroula sur cette piste le 12 août 1945.»
http://www.2alpesetcompagnie.com/2016/02/histoire-des-2-alpes-l-hotel-tessa.html
L’agrandissement de la photo ci-dessous, publiée dans la revue ICARE, permet d’identifier au premier plan, un Piper Cub, au second plan, un Morane 500 à moteur en étoile, tous deux aux couleurs militaires et, à l’arrière-plan, sur le côté gauche, en clair, un planeur, identifié comme étant un Minimoa.
Cette photo est légendée: «Le premier aérodrome de montagne. Fête aérienne du 12 août 1945 à l’Alpe du-Mont-de-Lans». (Photo Dauphiné Libéré Collection A. Genève)
Grâce aux références de la photo, nous avons pris contact avec le journal Le Dauphiné Libéré afin de nous procurer la coupure de presse relatant la fête aérienne du 12 août 1945 à l’Alpe du Mont-de-Lans. Hélas, ce quotidien dauphinois n’a débuté sa parution que début septembre 1945. L’autre quotidien de l’époque était Les Allobroges. Nous prenons contact avec la Bibliothèque Etude et Patrimoine de la Ville de Grenoble afin de nous procurer dans ce dernier quotidien la coupure de presse relatant cette manifestation. Une réponse très rapide nous parvient. Le journal Les Allobroges couplé avec le Dauphiné Libéré, grand quotidien régional d’informations, paraît sur deux pages en recto-verso. Le lundi 13 août 1945 est publié, au recto, l’article suivant :
« Un aérodrome d’altitude en Oisans »
« Hier, a été inauguré, à l’Alpe du Mont-de-Lans, à 1700 mètres d’altitude, le terrain d’aviation auxiliaire aménagé clandestinement pendant l’occupation de l’Oisans par les FFI. A cette occasion, deux avions militaires du centre de Grenoble ainsi qu’un avion civil avec planeur du Centre National de Vol à Voile de Challes-les-Eaux évoluèrent entre les monts avec une aisance qui enthousiasma les 700 à 800 spectateurs venus de toute la région. »
Au verso de cette première page, l’article suivant :
Dans l’ouvrage de M. Jean-Noël Violette ‘Challes avec deux ailes’, on peut lire :
« Le 12 août 1945, depuis le Centre de Vol à voile de Challes-les-Eaux en Savoie, convoyage du planeur Minimoa pour une expérimentation sur le terrain d’aviation de l’Alpe de Mont-de-Lans dans l’Isère. Messieurs Guyard, Diart, Chabal, Lacasse et Tournon du Centre de Challes-les-Eaux participent à ce déplacement. A cette occasion, un vol est réalisé sur le Massif de la Meije. »
Le Minimoa n° 2, ex D-14-280 de Challes, en vol sur les Alpes, derrière un Storch, en 1945. (Coll. P. Chabord).
Photo extraite de la revue ‘Le Trait d’Union’ n°112 de mars 1987, page 17.
Texte ‘Le petit matériel allemand’ par R.Bouvier.
Couv TU N°112 (Pierre Labaudinière)
Le Minimoa n°2 sur le terrain de Challes-les-Eaux
Le Göppingen Gö3 Minimoa est un planeur allemand construit de 1935 à 1940. C’était un appareil remarquable par ses performances et son esthétique. En 1945, l’Armée française saisit une dizaine de Minimoas en Allemagne. Celui codé D-14-280 vola longtemps à Challes-les- Eaux en Savoie sous son plumage d’origine; seule la svastika avait été masquée.
René Branciard, moniteur au Centre national de vol à voile de Challes-les-Eaux, réalise en avril 1946 un vol de Challes-les-Eaux à Valence sur planeur Minimoa. Le 19 avril 1949, il réalise, sur ce même appareil, un gain de 3225 mètres, ce qui lui vaut l’obtention de son insigne d’or.
Ce planeur fut ensuite immatriculé F-CADA puis F-CROU. Il est réformé à Reims en 1966 et en attente de restauration au musée d’Angers.
http://fighters.forumactif.com/t68300-planeur-minimoa-en-france-1945-1-72-cmr
Dans la revue ‘Le Trait d’Union’, M. René Bouvier cite dans un article consacré aux petits matériels aériens récupérés en Allemagne :
«le Minimoa se signala rapidement en effectuant de nombreux vols de performance à partir du terrain de l’Alpe de Mont-de-Lans situé dans le massif de l’Oisans à 1700 mètres d’altitude, et ceci dès le mois d’août 1945. Remorqué par un Storch, le planeur largué à 200 mètres d’altitude par rapport au terrain, soit à 1900 mètres au-dessus du niveau de la mer, monta, lors d’un vol, à 3700 mètres, ce qui représente un gain de 1800 mètres. Cette performance était considérée comme hors du commun à l’époque ».
Il nous appartenait de localiser ce terrain d’aviation à l’Alpe de Mont-de-Lans. Les Archives départementales de l’Isère nous procurent un plan de localisation datant de janvier 1959.
Mais l’Alpe de Mont-de-Lans s’est,depuis,développé dans les domaines de l’immobilier et des infrastructures des sports de neige par le biais de la spéculation foncière. Elle prend alors le nom de Station du Mont-de-Lans et, suite à la fusion avec la Station de l’Alpe de Venosc, la Station des Deux Alpes est créée. Nous avons fait appel à nos amis Charrel et à Madame Tessa pour situer l’emplacement actuel de cet aérodrome sur les plans local et régional :
Il existe, aux Archives départementales de l’Isère, un dossier relatif à la création officielle, entre 1957 et 1959, de cet aérodrome à qui l’on accorde une autorisation d’atterrissage.
En novembre 1956, les équipages de quatre hélicoptères Vertol H-21 (Bananes volantes) de l’Aviation de l’Armée de Terre participèrent à un stage d’un mois à l’Alpe de Mont-de-Lans.
Dans les années 50/60, dans le cadre de l’Aéro-club de l’Oisans, Henri Giraud effectua, depuis ce terrain, de nombreux baptêmes de l’air. Le 28 juin 1964, lors du survol du Massif des Ecrins, Giraud envisage de se poser à l’extrémité du plateau du glacier vers 3200 mètres. Mais un incident à l’atterrissage empêche l’appareil de redécoller. Abandonné sur place, celui-ci est progressivement englouti par le glacier. Quelques débris sont restitués en 2006, les restes de la carcasse le seront en 2008.
La création du Parc national des Ecrins en mars 1973 aboutit à la réduction progressive des conditions de survol de ce massif.
Marie-Christine Charrel effectua son baptême de l’air depuis ce terrain en 1976.
Aux Deux Alpes,on a,depuis,oublié cet aérodrome de montagne.
Depuis la rive droite de la Romanche, vue d’ensemble des Deux Alpes.
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Deux photos aériennes transmises par un contributeur :
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(Coll Ludovic Durantin)
Sources :
Revue ICARE, Revue Le Trait d’Union, Bibliothèque Etude et Patrimoine de la Ville de Grenoble, Archives départementales de l’Isère, Challes avec deux ailes, divers sites Internet, Geoportail, etc…
Nous remercions Madame Tessa, nos amis Charrel et Daniel Gerbe pour leur aimable collaboration.
Aux Deux Alpes, dans l’Isère, un aérodrome oublié Copyright Paul Mathevet