Jean-Luc Charles – (Membre 2A)
Dans notre magazine n°64 de décembre 2017, nous vous avons présenté le dossier Alfred Carlier. Celui-ci se compose de 5 films de vues fixes qui traitent de sujets généraux de l’aéronautique.
La première image présentée du film sur « Les temps héroïques » nous montrait un aéroplane, à moteurs avec des voilures et empennages déployés comme des ailes de papillon. La légende était la suivante : « L’avion Whitehead qui, selon des témoignages, eut décollé aux U.S.A. dès le 25 septembre 1901. » (au lieu du 14 août 1901). A la lecture du titre, on comprend tout de suite qu’il y a de quoi discuter sur ce fait qui révolutionne nos données historiques.
Ce qui devait arriver arriva par l’intermédiaire d’un homme, Toni Giacoia (devenu depuis membre 2A !) qui consacre une grande partie de ces recherches à Gustave Whitehead. Comme cette histoire intéressante n’est pas simple à raconter, nous (2A) avons préféré laisser la parole à Toni.
« Tribune Libre » de Toni Giacoia (1)
Merci Jean-Luc, mais Gustave Whitehead était déjà mondialement connu par le Reader’s Digest dans les années 1940, bien avant que je ne m’y intéresse, et par un livre publié par Stella Randolph en 1937. Whitehead avait connu une notoriété croissante dans la période 1897-1904 où ses nombreuses inventions de planeurs et de machines volantes furent publiées dans la presse. C’est surtout la famille O’Dwyer-Brinchman qui a fait d’importantes découvertes il y a plus d’un demi-siècle et n’a cessé de chercher depuis.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, Gustave Whitehead, qui est aujourd’hui relativement peu connu, est considéré par certains historiens comme le plus grand pionnier de l’aviation. Ce n’est sans doute pas par hasard que le Service Information de l’ambassade des États-Unis en Allemagne a déclaré en 1983 que Gustave Whitehead était le père légitime de l’aviation. Il y a plusieurs raisons à cela : entre autres, il avait compris les enjeux du plus-lourd-que-l’air, dessiné et testé des hélices, imaginé et censé avoir testé la direction en vol; il était probablement au sommet de ce qui se faisait dans les moteurs d’aéronefs. Ce n’est pas un hasard si Octave Chanute faisait l’éloge de ses moteurs : ses combinaisons moteur-puissance-poids-carburant lui donnaient un an d’avance sur ses concurrents. Quand on sait que le carré de la vitesse est fonction de la portance, ce genre d’atout a pu peser lourd dans la balance.
C’est en Bavière que Gustav Weisskopf (Gustave Whitehead) se retrouve orphelin à 13 ans en 1887. Il devient ensuite apprenti motoriste chez Rudolf Diesel où il étudie les moteurs, les carburants et les techniques de refroidissement. Il part aux États-Unis en 1893 après un séjour au Brésil comme marin. Il s’essaye aux cerfs-volants à Boston où il fréquente la Société Aéronautique (BAS). Il construit et teste des planeurs inspirés des travaux de Lilienthal. Il s’installe ensuite à New York, puis dans le Maryland, en Pennsylvanie et enfin dans le Connecticut. Très vite, il croit au plus-lourd-que-l’air motorisé et conçoit des machines volantes (en plus d’exercer un métier de gardien de nuit !). Il effectue de nombreux vols planés et,ce, quelquefois en public. Il apprend de ses échecs; un épisode marquant se produit en 1899 : on apprend d’un journal qu’une machine volante de Gustave Whitehead aurait percuté le 1er étage d’un bâtiment à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Cela aurait été consigné dans un rapport de police. Plusieurs témoins parlent de l’accident où Whitehead et son passager auraient survécu malgré les blessures infligées au passager. Octave Chanute remarque le talent de Whitehead et suggère dans un courrier à Orville Wright daté du 3 juillet 1901 d’enquêter sur les travaux du Bavarois d’Amérique concernant les moteurs légers. Certains de ses vols, motorisés ou pas, sont relatés dans la presse de la fin du XIXe au début du XXe siècle. Il y a notamment ce fameux vol du n°21 (#21 aux États-Unis) de Whitehead,en date du 14 août 1901,relaté dans l’article d’un journaliste présent lors du vol. Il était rapporté que le vol aurait couvert ½ mile (800 m) à une hauteur de 50 pieds (15 m). Des articles, témoignages et affidavits (2) supplémentaires décrivant d’autres vols du n°21 accomplis le même jour se sont ajoutés durant l’été et l’automne 1901. D’autres vols, plus longs et en circuit, notamment aux alentours de janvier 1902, laissent supposer des vols contrôlés selon les rapports des témoins et l’affidavit du mécanicien de Whitehead. Un total de 12 articles de journaux locaux ont été identifiés sur cette période, attribuant à Whitehead des vols motorisés en 1901. De nombreux articles les lui attribuèrent à travers le monde à la même époque.
Comment un tel inventeur a-t-il bien pu disparaître des tablettes pendant autant de temps ? Il y a plusieurs explications possibles que je ne vais pas développer ici. Comme j’ai pu le lire, c’est une affaire très sensible. Pour résumer, la situation est telle que l’État du Connecticut reconnaît officiellement l’antériorité des vols de Whitehead depuis que l’institution IHS Jane’s All the World’s Aircraft déclara le 9 mars 2013 que Gustave Whitehead avait réussi à accomplir de longs vols contrôlés avant les frères Wright. Il s’agissait d’une reconnaissance majeure de la part de Jane’s, la référence mondiale en la matière. Des pressions des pro-Wright, notamment de la Smithsonian Institution, ont tenté de faire revenir Jane’s sur leur position précédente. Avec beaucoup de tact, Jane’s prétexta que son éditeur avait émis son opinion et que même si Jane’s l’avait publiée, elle n’engageait pas la position de l’institution. Mais, tout en reconnaissant la place des frères Wright comme pionniers de l’aviation, Jane’s ne déclare toujours pas que les Wright furent les premiers à voler. En ce qui concerne les autres États et le gouvernement fédéral des États-Unis, ils ne reconnaissent pas officiellement les vols de Gustave Whitehead. Les frères Wright sont reconnus comme les premiers à avoir volé, officiellement, sauf dans le Connecticut et l’IHS Jane’s ne semble pas disposée à attribuer la primauté du vol contrôlé aux frères Wright. Il est bon de rappeler que le 1er vol officiellement reconnu était celui de Santos-Dumont en 1906 et que le premier vol officiel en circuit fut celui de Farman en 1908 car ils ont été validés par des commissaires. Connaît-on les commissaires des vols du Flyer en 1903 et 1904 ?
J’ai d’abord contacté Susan O’Dwyer Brinchman, M.Ed.(Master of Education, environ Bac +6) qui a écrit Gustave Whitehead : First in Flight (2015). Susan n’est autre que la fille du défunt Commandant William J. O’Dwyer, remarquable pilote instructeur de l’Army Air Corps, puis de la réserve de l’U.S. Air Force. Il avait consacré la moitié de sa vie à tenter d’élucider le mystère des vols de Whitehead. Le Commandant O’Dwyer avait également remis en question la primauté des vols des frères Wright. Comme il avait une solide formation en aéronautique, il voyait bien que quelque chose n’allait pas dans la version officielle des Wright alors que l’hypothèse de Whitehead lui semblait beaucoup plus vraisemblable.
Très vite, j’ai été en contact avec l’ami de Susan, un Allemand, Karl Heigold, qui soutient très activement le musée et la recherche consacrés à Gustave Whitehead, à Leutershausen (lieu de naissance de Gustave Whitehead) situé à 50 km à l’ouest de Nuremberg. Karl Heigold est membre du FFGW : the « Historical Flight Research Committee Gustav Weißkopf (Whitehead) » (HFRC-GW en anglais), le comité de recherche sur le vol historique de Gustav Weisskopf (Gustave Whitehead). William J. O’Dwyer a été l’un des membres fondateurs du FFGW en 1973 avec Stella Randolph et le maire de Leutershausen, Heinz Wellhöffer. Je ne remercierai jamais assez Karl de m’avoir envoyé le livre de Susan Brinchman, Gustave Whitehead : First in Flight qui compile une multitude d’éléments permettant d’y voir plus clair dans cette histoire. De même, je ne remercierai jamais assez Susan O’Dwyer Brinchman, M. Ed., pour tout le travail qu’elle a accompli ainsi que pour tous les renseignements et images que Susan et Karl m’ont fournis. Grâce à des interviews de témoins oculaires, grâce aux recherches menées par Stella Randolph, O’Dwyer et les personnels de son escadron, grâce au Connecticut Aeronautical Historical Society, et grâce à des archives constituées de nombreux journaux et lettres, Susan et son père ont accumulé une cinquantaine de témoignages et affidavits. Grâce au travail de William O’Dwyer, la démonstration éclatante a été faite que l’institution Smithsonian avait un intérêt dans l’exposition du Flyer et même une obligation contractuelle à ne reconnaître aucun vol antérieur à celui des Wright en décembre 1903. Il est désormais clair que ce contrat est associé au soutien d’Orville Wright pour assurer la primauté du vol face à Whitehead par la Smithsonian qui a pourtant affirmé le contraire pendant des années. La Smithsonian par les voix d’anciens administrateurs, de Tom D. Crouch, son actuel conservateur pour la partie aéronautique, et de Caroll F. Gray, un journaliste blogueur défendant la cause des Wright (est-ce le rôle d’un journaliste ?), tente de nier depuis plusieurs années mais le temps a fait son œuvre : les arguments sonnent creux désormais. Le fait est que la Smithsonian risque de perdre le droit d’exposer le Flyer des Wright si elle reconnaît les vols de Whitehead.
Tous ces récents événements ont fait que les médias se sont emparés de l’affaire. CNN, CBS, Fox News, The New York Times pour ne citer qu’eux. Tous présentent le problème d’une façon très saine et professionnelle car le doute est légitimement permis. Il n’y a plus que les groupies de la Smithsonian aujourd’hui pour développer une argumentation à charge contre Gustave Whitehead, ce qui reste embarrassant pour la Smithsonian car la preuve du contrat avec les héritiers des Wright a bel et bien été établie.
S’il n’y avait que cela, Whitehead serait célèbre aujourd’hui. On a tellement inculqué aux Américains puis aux pays du monde entier que les frères Wright avaient fait le premier vol, que certains historiens ont même suggéré qu’ils avaient tout inventé de l’aviation. Les amateurs qui ont bravement construit la réplique du premier Flyer n’avaient certainement aucune mauvaise intention mais ils ont tant cru à ce discours, que leur réplique n’a jamais voulu décoller devant George W. Bush juste après son discours du 17 décembre 2003, pour le 100ème anniversaire du 1er vol des Wright. Demandez à un constructeur d’avions anciens : les premiers Flyer n’étaient pas viables car ils présentaient un dièdre négatif, facteur d’instabilité. Ils étaient trop lourds, pas assez puissants et incapables de décoller sans catapulte : il leur aurait fallu un vent de face de 25mph (40 km/h, 11 m/s) sur la plage à Kitty Hawk. Ils étaient comme des planeurs sur lesquels étaient placés des moteurs obsolètes. C’est le Français Charles Marre (moteurs Bariquand et Marre) qui aurait insisté pour que Wilbur Wright se mette enfin à changer de moteur au Mans. D’après lui, Wilbur était borné et c’est grâce à une casse moteur qu’il aurait cédé à ses conseils. A votre avis, pourquoi les frères Wright n’ont-ils jamais gagné le prix Deutsch-Archdeacon (1908) et celui de Londres-Manchester (1910) ? Pourquoi les frères Farman et Voisin ont vendu des dizaines de milliers d’aéroplanes en dix ans alors que, dans la même période, les Wright n’en ont vendu qu’un peu plus d’une centaine ? Pour ceux qui auraient encore un doute, rendez-vous sur un moteur de recherche vidéo et tapez « Attempt to recreate Wright replica flight »… Alors ? Étonnant, non ?
J’argumente un peu différemment dans mon livre « Une autre histoire de l’aviation » car je ne maîtrise pas la chronologie de cette histoire aussi bien que Susan O’Dwyer Brinchman, M. Ed. Je m’intéresse davantage à la navigabilité du #21 de Whitehead et du Flyer des frères Wright. Je ne ferai pas ici la liste des nombreux points qui plaident souvent pour le #21, ni ne reviendrai sur une définition très singulière du vol revue et corrigée par les Wright. Regardez seulement ce tableau :
« Gustave Whitehead et sa fille à côté du « Condor » ou n° 21. Certains amateurs d’aviation croient que M. Whitehead a piloté cet avion, le 14 août 1901, plus de 2 ans avant le 1er vol des frères Wright ».
© Public domain, photo by Stanley Yale Beach, aviation editor, Scientific American.
Comment ne pas s’étonner alors que les 2 répliques du #21 ont toutes les deux volé facilement ? Une d’entre elles s’est élevée à une hauteur de 15 mètres sur une distance de 800 mètres, tout comme le #21 de Whitehead en août 1901. On ne peut pas en dire autant des répliques du Flyer. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car notre ami Charles Lautier poursuit ses recherches dans le Connecticut : il a déjà trouvé de quoi renforcer nos présomptions sur les travaux remarquables de Gustave Whitehead. Avec Charles Lautier, Susan Brinchman, M.Ed., et Karl Heigold, nous échangeons nos réflexions et nous avançons toujours.
Je connaissais Anciens Aérodromes (2A) de réputation avant de tomber sur les films d’Alfred Carlier et j’ai immédiatement deviné la silhouette du #21. J’étais intrigué : pourquoi le 25 septembre 1901 au lieu du 14 août ? J’ai aussitôt rapporté cette trouvaille à mes amis américains et allemands; Susan a immédiatement pressenti une découverte de grande envergure puisqu’elle a la mémoire des événements. En effet, cette date du 25 septembre pourrait évoquer un vol lors de l’exposition à la grande foire d’Atlantic City. Voilà une piste que nous n’avions pas imaginée : les publications du Français Alfred Carlier ! Si cette information venait à être confirmée, les travaux de recherche sur ces films publiés par 2A pourraient avoir un impact considérable sur l’histoire de l’aviation. Chers lecteurs, si vous détenez des archives d’Alfred Carlier et découvrez des informations sur Gustave Whitehead, conservez-les précieusement et contactez 2A (Anciens Aérodromes) ou Susan O’Dwyer Brinchman, M.Ed., sur www.gustavewhitehead.info car il se pourrait qu’il y ait des informations d’une importance capitale pour l’histoire de l’aviation.
L’Australien John Brown a eu un grand rôle dans un très beau docu-fiction intitulé « Who flew first ». Il a été écrit et réalisé par l’Allemand Tilman Remme. Les producteurs étaient Brian Beaten et Celia Tait d’Artemis Films à Fremantle, en Australie-Occidentale. Il est juste de dire que John Brown a contribué à faire connaître Gustave Whitehead en Europe via Arte ces dernières années mais il n’a jamais cité Susan Brinchman ni dans son film, ni dans ses publications alors qu’elle est incontournable sur ce sujet. Je trouve cela inacceptable quelle qu’en soit la raison. Sur son site, John Brown a longtemps persisté à faire passer une photo floue du planeur de Montgomery pour un vol de Whitehead et a grandement décrédibilisé ceux qui cherchent sérieusement sur Gustave Whitehead. Nous n’avons pas trouvé de citation de la part de Brown sur l’immense travail (de plus de 5 décennies) de O’Dwyer et Brinchman. De plus, il a fait beaucoup d’erreurs regrettables dans l’exposé des faits qu’il a avancé dans un livre récent. De ce fait, son ouvrage se lit davantage comme une fiction historique. Brown n’a toujours pas retiré la photo mal interprétée qui pose problème et fait le jeu de la Smithsonian, puisqu’il est présenté comme pilote et qu’il n’a toujours pas démontré dans ses travaux la navigabilité du #21 (alors que c’est un jeu d’enfant). Voilà pourquoi je vous recommande la plus grande prudence lorsque vous consultez les publications de John Brown. Pour ceux qui avaient un doute sur mes propos, voici un résumé de ce qui lui est reproché concernant les inexactitudes, très nombreuses, comme vous pouvez le constater :
http://gustavewhitehead.info/whitehead-historical-record-corrections/
Je recommande plutôt les sites : http://historybycontract.org/, http://gustavewhitehead.info/ et https://www.weisskopf.de/ car ce sont les plus sûrs, les autres sources comportant souvent des erreurs. Susan Brinchman, M.Ed., rappelle que Gustave Whitehead avait inventé d’autres machines volantes dont un hélicoptère, qu’il considérait le #21 comme une étape et qu’il avait volé jusqu’en 1915.
Je tiens à remercier 2A pour la qualité de leurs travaux. Leurs publications vont certainement m’aider à rédiger la deuxième édition de mon livre avant une traduction de cette édition en anglais d’ici deux ans. Je considère les travaux de 2A comme étant d’utilité publique car ils fouillent, trouvent, et créent des supports qui permettent d’aider ceux qui cherchent. Par exemple, le film de Carlier, par sa date, pourrait être une découverte capitale. 2A m’a fait connaître le terrain de Ronchin (sud-est de Lille) et son intense activité avec un meeting se déroulant quelques jours avant même celui de Douai-La-Brayelle que je qualifiais jusqu’ici comme un éventuel premier meeting avant même celui de Reims. Bien sûr, celui de Reims reste le premier grand meeting international même si les meetings de Francfort et Vichy avaient eu lieu quelques jours avant. Reste que le premier meeting organisé se serait déroulé à Port-Aviation à Juvisy (sud-ouest de Paris) sur une piste circulaire avec de magnifiques gradins couverts le 23 mai 1909. (Plus d’infos sur mon livre Une autre histoire de l’aviation page 309).
(1) Toni GIACOIA Aviation English Instructor / Aeronautics Bachelor Tutor / BIA-CAEA Team / Author & Translator
Sites à consulter : https://fclanglais.fr ; https://airforces.fr
Auteur du livre « UNE AUTRE HISTOIRE DE L’AVIATION »
(2) Affidavit : déclaration faite sous serment.